Zakhor, il y a 63 ans |
Les Enfants d’Izieu
(et la présence du chiffre 4)
12 avril 2007 -
Charles Etienne Nephtali
Certains Rabbins et exégètes donnent une signification aux chiffres comme par exemple
Un pour le D.ieu unique, le D.ieu Un ,
Deux pour les deux Tables de la Loi,
Trois pour nos trois Patriarches, Abraham, Isaac et Jacob,
Quatre pour nos quatre « Matriarches », Sara, Rébecca, Léa et Rachel
C’est sur ce chiffre 4 que je m’arrêterais, ce chiffre 4 qui correspond à nos « Matriarches », à nos Mères qui, stériles, eurent par la suite des enfants. Ce chiffre 4 qui finissait par être en rapport avec la joie d’avoir des enfants.
LA RAFLE
Sans rechercher des coïncidences, je constate avec prudence que ce même chiffre 4, concernant 44 enfants, fut le symbole non de joies mais de drames, de tragédies et de malheurs. Je fais allusion à ces 44 malheureux enfants de la Maison d’Izieu « arrêtés » deux mois exactement avant le Débarquement en Normandie, il y a 63 ans aujourd’hui 6 avril 2007.
« Arrêtés » avec leurs 7 éducateurs le 6.4.44 par la Gestapo de Lyon commandée par le criminel de guerre Barbie, le « boucher de Lyon », le tortionnaire de Jean Moulin. Les occupants de la Maison d’Izieu, à l’exception de Léon Reifman, 30 ans, originaire de Roumanie, qui put s’échapper, furent raflés alors que dans le réfectoire les petits déjeuners les attendaient. Le plus jeune, Albert, n’avait que 4 ans, le plus âgé, Arnold, 17 ans. 42 enfants furent gazés à Auschwitz, les 2 autres, plus âgés, furent fusillés. Le seul crime de ces enfants orphelins et de leurs éducateurs : être Juifs !
Alexandre Halaunbrenner, un de mes amis des F.F.D.J.F, porte-drapeau de cette Association (1), avait ses 2 sœurs, Mina, 8 ans et Claudine, 5 ans dans la Maison d’Izieu. Elles furent déportées par le convoi n° 76 du 30 juin 1944 et assassinées à Auschwitz. (2)
Le 24.4.1994, le Président François Mitterrand inaugura le Musée Mémorial de la Maison d’Izieu déclarant en particulier : « Ne laissons pas le temps faire œuvre d’oubli au lieu de faire œuvre d’Histoire ». Ce jour-là, Madame Sabine Zlatin (3) avait définitivement gagné son combat pour la Mémoire des Enfants d’Izieu et de cette maison dans laquelle 44 enfants et 7 adultes vécurent leurs derniers moments de bonheur.
Leurs derniers moments de bonheur car le 6.4.44 deux camions et une voiture s’arrêtèrent devant la maison et une quinzaine de soldats allemands appartenant au 958ème bataillon de la défense antiaérienne encadrés par trois hommes en civil et deux officiers de la Gestapo regroupèrent avec violence et brutalité les occupants de la maison et « malgré les pleurs et les cris, les jetèrent dans les camions comme de vulgaires marchandises » d’après les témoignages des voisins. J’ai lu que, comme ultime acte de résistance et sous la direction des adultes, les enfants chantèrent en chœur « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine ».
Enfermés au fort Montluc à Lyon, les 44 enfants et leurs 7 accompagnateurs furent transférés à Drancy le 8 avril où ils portèrent les numéros 19.185 à 19.235. Le 13 avril, une semaine après la rafle, 34 enfants et 4 éducateurs furent déportés à Auschwitz par le convoi n° 71. Après plus de 80 heures d’un voyage inhumain et épuisant dans des wagons à bestiaux, les enfants furent immédiatement gazés.
Les autres enfants et leurs éducateurs furent déportés par les convois 72, 74, 75 et 76 entre le 20 avril et le 30 juin alors que Miron Zlatin et deux adolescents, déportés par le convoi n° 73, furent fusillés en Estonie fin juillet.
Seule, Laja Feldblum, originaire de Pologne, une éducatrice de 26 ans, reviendra de déportation.
LA CULPABILITE DE BARBIE
Si, à ma connaissance, la présence de Barbie lors de la rafle ne fut pas établie, il en est indiscutablement par contre le responsable direct. Les Etats-Unis l’utilisèrent pendant la guerre froide puis le firent passer en Amérique du sud. Du Pérou il se rendit en Bolivie où il mit « ses compétences » au service de la dictature. Se faisant appeler Klaus Altmann et disposant d’un passeport diplomatique bolivien, il se déplaça en Europe afin d’acheter des véhicules militaires destinés à la répression des manifestations d’opposition. Il fut débusqué grâce à la ténacité et au courage « de deux femmes - l’une du peuple martyr [Mme Halaunbrenner, mère de Mina, 8 ans et Claudine, 5 ans assassinées], l’autre du peuple bourreau [Beate Klarsfeld] [qui] étaient allées au bout du monde pour réclamer justice » (4).
Après un changement de pouvoir politique en Bolivie, Barbie en fut expulsé vers la France début février 1983 et incarcéré à la prison de Montluc à Lyon, là-même où il avait sévi et où les enfants d’Izieu transitèrent avant leur transfert à Drancy.
Le procès Barbie s’ouvrira le 11 mai 1987 devant la cour d’assises du Rhône mais il refusa lâchement d’assister aux audiences.
Il y eut les témoignages d’une grande résistante âgée de 86 ans torturée par Barbie lui-même, d’une femme de 57 ans, arrêtée avec ses parents à l’âge de 13 ans par Barbie le jour du débarquement allié en Normandie qui vit sa mère gazée et son père abattu à ses pieds à Auschwitz. Il y eut naturellement les témoignages des proches des enfants d’Izieu. Après 4 jours de plaidoiries, Barbie fut condamné à la réclusion à perpétuité le samedi 4 juillet 1987. Ce criminel mourut en prison le 25 septembre 1991.
J’ai encore en mémoire cette réflexion de Serge Klarsfeld :« Les enfants d’Izieu n’ont rejoint leurs parents que dans la fumée d’Auschwitz » (5).
Comment Barbie eut-il connaissance de la présence d’enfants Juifs à Izieu ? En septembre 1945, des recherches mirent en accusation un réfugié lorrain paysan dans une commune proche d’Izieu. Cet homme avait des rapports avec les Allemands et embauchait un des adolescents de la maison d’Izieu. Le 6.4.44 il aurait accompagné la Gestapo et aurait assisté à l’« arrestation » des occupants de la Maison d’Izieu. Faute de preuves, cet homme ne fut pas accusé de dénonciation mais fut cependant condamné à la « dégradation nationale à vie » pour intelligence avec l’ennemi.
En tout état de cause, il y eut au moins une dénonciation car le sous-préfet de Belley, Pierre-Marcel Wiltzer, cité en (2), déclara avoir reçu au cours de l’hiver précédant la rafle une lettre non signée indiquant que « les enfants de la colonie étaient Juifs ». Mais, lors de son procès, Barbie n’en fit jamais mention.
ZAKHOR
Mes enfants chéris,
- vous vous appeliez Sami, Hans, Nina, Max, Jean-Paul, Esther, Elie, Jacob, Jacques, Barouk, Majer, Albert, Lucienne, Egon, Maurice, Liliane, Haïm, Joseph, Mina, Claudine, Georges, Arnold, Isidore, Rénate, Liane, Max, Claude, Fritz, Alice, Paula, Marcel, Théodor, Gilles, Martha, Santa, Sigmund, Sarah, Max, Herman, Charles, Otto, Emile,
- vous étiez des orphelins et vous aviez réappris à vivre, à rire, à chanter comme tous les autres enfants, grâce à Sabine, Miron et vos éducateurs,
- vous avez été brutalisés, transportés dans des wagons à bestiaux, gazés et brûlés par des gens comme Barbie et par toute une clique d’assassins qui avaient décidé que vous n’aviez pas votre place sur terre car vous étiez Juifs.
Mais vous ne serez jamais une statistique car
- il nous reste de vous, outre vos noms gravés sur une plaque en marbre apposée sur la façade de la maison dans laquelle vous connurent vos derniers jours de bonheur, votre état-civil, vos photos avec vos sourires innocents grâce à Beate et Serge Klarsfeld (1). De plus, grâce au Rabbin Daniel Farhi, vos noms sont lus à l’occasion du Yom HaShoah (6) tous les 2 ans, vous qui n’eûtes pas droit à un Kaddish, vous qui, comme toutes les victimes de la barbarie et la sauvagerie, êtes des « morts sans sépulture ».
- il nous reste de vous un monument-colonne de 5 mètres de haut près de l’endroit où des sauvages, vous « arrêtèrent »,
- il nous reste de vous, en particulier de Georgy Halpern, 8 ans (1), des lettres émouvantes et des dessins naïfs sur lesquels figure très souvent le drapeau français. Et pourtant, plus de la moitié d’entre vous n’était pas née en France mais, malgré votre jeune âge, vous aviez déjà reçu une éducation qui vous firent aimer ce pays, ce pays dont le gouvernement d’un certain Maréchal qui avait perdu le sens de l’honneur vous trahit et vous condamna à mort !
Vous faites partie des 11400 enfants déportés Juifs de France (1). Vous faites partie du million et demi d’enfants Juifs assassinés en Europe par des sauvages de mémoires maudites.
Que vos mémoires et celles de tous nos innocents assassinés soient bénites ! Amen !
Un ami (très) religieux me faisait remarquer que demain Chabbat, ce Chabbat qui se trouve en plein milieu de Pessah, dans toutes nos Synagogues, nos Rabbins et Officiants nous ferons lire la Haphtara de la résurrection tirée des prophéties d’Ezéchiel que nous retrouvons dans nos trois prières journalières :
« Vénééman ata léha’hayot métim. Baroukh ata Hachem mé’hayé hamétim »
« On peut te faire confiance pour ressusciter les morts. Sois béni, ô Eternel, qui ressuscite les morts ».
Charles Etienne NEPHTALI
Vendredi 6 avril 2007
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(1) En ce moment et jusqu’au 29 avril, l’Association des F.F.D.J.F. et la Mairie de Paris organisent à l’Hôtel de Ville de Paris une remarquable exposition sur « Les 11400 enfants Juifs déportés de France entre juin 1942 et août 1944 ». Tout le monde devrait s’y rendre. Vous y verrez les petits visages innocents de celles et ceux qui aujourd’hui auraient pu être nos Parents ou nos Grands-Parents sans la sauvagerie et l’inhumanité de gens comme Papon, Barbie et autres criminels du même acabit. Vous pourrez également acquérir des ouvrages édités par les F.F.D.J.F. et, en particulier, pour la tragédie des enfants d’Izieu, « Georgy, un des 44 enfants de la Maison d’Izieu » et « Les enfants d’Izieu, une tragédie juive ».
(2) La famille d’Alexandre fut pratiquement entièrement anéantie à cause de Barbie ! Jacob, le père, 41 ans, fut assassiné par la Gestapo de Barbie le 24 novembre 1943 de 17 balles de mitraillette. C’est Alexandre lui-même qui identifia le corps. Son frère aîné, Léon, 14 ans, fut transféré à Drancy et déporté le 17 décembre 1943 par le convoi n° 63 vers Auschwitz où il fut assassiné. Madame Halaunbrenner, la mère d’Alexandre, participa activement à la traque de Barbie en Bolivie (4).
(3) C’est grâce à l’aide du sous-préfet de Belley, Pierre-Marcel Wiltzer, désobéissant aux ordres à l’inverse de Papon, n’en déplaise à M. Barre, que Sabine Zlatin, Française d’origine juive polonaise, infirmière militaire ayant perdu son emploi en application des lois anti-juives de Vichy, fonda avec Miron, son mari, la Colonie d’enfants réfugiés de l’Hérault afin de les soustraire aux rafles et leur redonner goût à la vie en leur réapprenant peu à peu à rire et à jouer. Cette tragédie a été remarquablement reconstituée dans le téléfilm « La Dame d’Izieu » d’Alain Wermus récemment diffusé sur TF1.
(4) Phrase extraite de l’ouvrage « Les enfants d’Izieu, une tragédie juive », page 118. Les dates et numéros de convois ainsi que les dates d’« arrestation » et d’assassinats sont extraites du même ouvrage.
(5) On fit toujours croire aux malheureux enfants dont les parents avaient déjà été déportés, et on voulu aussi faire croire à la population, qu’ils allaient « rejoindre leurs parents ». On peut lire cela en particulier dans « Sans oublier les enfants » d’Eric Conan (Grasset) qui traite de ces 3500 enfants de 2 à 16 ans dont le calvaire commença au Vel’ d’Hiv’ les 16 et 17 juillet 1942 pour se poursuivre dans les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande entre le 19 juillet et 16 septembre 1942. Un mémorial en souvenir de ces 3500 enfants sera inauguré début 2008.
(6) La cérémonie du Yom HaSoah aura lieu le dimanche 15 avril et la lecture des Noms des Déportés Juifs de France se déroulera du dimanche 15 à 20 heures 15 au lundi 16 à 18 heures 45 (convoi n° 36) au Mémorial de la Shoah à Paris.
TEXTE REPRIS DU SITE DESINFOS
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