dimanche 16 novembre 2008

Nuit de cristal : le silence de l'éclat du verre


Durant la Nuit de cristal, 7 500 magasins juifs furent saccagés et 20 000 Juifs (70 000 selon certains) furent arrêtés et déportés en camps de concentration.
Photo: Jerusalem Post Achives , JPost

Par ERVIN BIRNBAUM


Début novembre 1938, le troisième secrétaire de l'ambassade allemande à Paris, Ernst Vom Rath, est assassiné par Herschel Grynszpan, 17 ans. Il s'agissait sans conteste d'un crime.


En d'autres circonstances, Grynszpan aurait été arrêté et jugé comme il le méritait. Mais en novembre 1938, les circonstances étaient tout sauf normales.

L'acte de ce jeune Juif servira de prétexte à un déchaînement de violences assassines et collectives contre les membres de sa communauté, qui restera dans les annales comme la "Nuit de cristal".

Un ou deux ans plus tôt, un tel degré de violence aurait été inconcevable. Pour preuve, en février 1936, un jeune Juif, David Frankfurter assassinait Wilheim Gustloff, le chef du parti régional nazi suisse, sans provoquer autant de remous.

Mais en novembre 1938, le paysage était totalement différent. Faisons remarquer que Rath avait une position hiérarchique inférieure à Gustloff, et pourtant, les nazis se sont servis de son assassinat pour se livrer à un vandalisme brutal au sein de la communauté juive.

A l'époque, des développements internes et internationaux avaient conditionné l'Allemand moyen à accepter l'intensification des mesures de persécution contre les Juifs. Dans son livre Les bourreaux volontaires d'Hitler, Daniel Goldhagen décrit "le déluge antisémite persistant" auquel la population allemande a été exposée depuis la montée au pouvoir du parti nazi en 1933.

En septembre 1935, avec le passage des lois de Nuremberg reléguant les Juifs au statut de citoyens de seconde zone, les organes de loi les plus respectables et les plus vils outils de propagande se sont inextricablement confondus. De plus en plus de localités se sont définies comme "Judenrein" (nettoyées de Juifs), écrit l'auteur.

Les films et caricatures dépeignant les Juifs comme de la vermine, des rapaces et des violeurs se sont multipliés. La loyauté envers le Führer n'était plus l'apparat des forces allemandes armées ou des jeunesses hitlériennes et le système d'éducation nationale, du jardin d'enfant à l'université, la prônait désormais avec une réelle conviction.

Le Juif était présenté sous sa forme la plus satanique, comme une créature rampante, sournoise, vouée à la destruction de la race aryenne pure, naïve et pétrie de bonne foi.

Ce processus de diabolisation qui se faisait à un rythme sûr et cadencé s'est accéléré avec la remarquable tolérance des nations éclairées face à ce rejet progressif du Juif et l'annihilation de l'indépendance économique au sein de la nation allemande. Les Juifs devenaient officiellement des parias.

"Les Juifs n'intéressent personne"


La conférence d'Evian en juillet 1938 marque une étape décisive entre l'isolation psychologique et sociale des Juifs vers la violence physique et massive qu'ils allaient subir.

L'incapacité des pays démocratiques à trouver une solution au problème des réfugiés juifs allait démontrer aux Allemands l'indifférence générale qui entourait le sort des Juifs. Un observateur allemand de retour à Berlin devait revenir avec le message suivant à l'intention d'Hitler : "Vous pouvez faire ce que vous voulez avec eux, ils n'intéressent personne."

Le public allemand ne se l'est pas fait dire deux fois. Evian a déclenché un regain des agressions antisémites sous toutes les formes, allant de la destruction des propriétés juives, aux humiliations publiques et aux arrestations arbitraires.

Encouragé par le changement du climat social et la passivité du monde face à l'antisémitisme allemand, le gouvernement nazi a mis en place des mesures, fin octobre 1938, pour expulser
20 000 résidents juifs polonais qui n'avaient pas la nationalité allemande. Une opération qui s'est réalisée avec une extrême brutalité.

Un des témoins au procès d'Eichmann a raconté comment les membres de sa famille avaient été arrachés de leurs maisons au milieu de la nuit, avec pour seul bagage les vêtements qu'ils portaient.

"Les rues étaient noires de monde qui criaient aux Juifs d'aller en Palestine. Les SS nous bâtaient, ils frappaient tous ceux qui ne marchaient pas assez vite, le sang coulait partout."


Des milliers de gens ont été conduits à la frontière. Les Allemands les ont laissés là-bas, dans le village de Zbonszyn, sans nourriture ou protection contre le froid trois jours durant.

De Zbonszyn, Zindel Grynszpan écrit à son fils, Herschel, qui se trouve à Paris. Il lui relate les souffrances subies par sa famille et par des milliers d'autres durant leur transfert en Pologne.

Le jeune Herschel, atterré, se met en tête d'attirer l'attention du monde sur le sort réservé aux Juifs. Armé d'un pistolet, il fait irruption à l'ambassade allemande, dans l'intention de tuer l'ambassadeur.

Lorsqu'il réalise que cela lui est impossible, il vise Vom Rath. Ironie du sort, Vom Rath était à ce moment soupçonné par la Gestapo de sympathiser avec les Juifs. Il décédera deux jours plus tard, le 9 novembre.

Le même jour, un message est dépêché aux quartiers généraux de la Gestapo disant : "Dans très peu de temps, des actions contre les Juifs, en particulier contre leurs synagogues, vont être entreprises dans toute l'Allemagne. Elles ne doivent pas être entravées."

Un engouement populaire volontaire

La Nuit de cristal, initiée et orchestrée par les SS, n'aurait pas pu avoir lieu sans un soutien populaire et une préparation minutieuse. Ceux qui affirmaient - et ils étaient nombreux - que ce n'était qu'une réaction "spontanée" à un acte spécifique colportaient une légende inventée dans le but de couvrir ce barbarisme sans précédent qui entachait le monde occidental moderne.

La nuit du 9 novembre, 267 synagogues sont brûlées, 7 500 magasins juifs pillés, des centaines de maisons saccagées, 91 Juifs tués et 20 000 autres (70 000 selon certains) arrêtés et déportés en camps de concentration.

Spontané toutefois était l'engouement de la foule d'Allemands ordinaires de se joindre aux agressions, sans besoin aucun de persuasion ou d'encouragement.

"Des jeunes et des enfants ont participé aux violences, avec la bénédiction de leurs parents. Des centaines de milliers contemplaient le spectacle cette nuit, et le jour suivant, alors que les bourreaux conduisaient cérémonieusement les Juifs en direction des camps de concentration", écrit Goldhagen.

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