Editorial de la semaine du 23/02/2008
Par Guy Senbel pour Guysen International News
Vendredi 22 février 2008 à 01:34
Cette semaine, nous souhaiterions attirer l’attention de nos lecteurs sur la polémique nourrie par les propos du Président français sur la pédagogie de la Shoah au cours du dîner du CRIF le 13 février dernier. Le projet de confier à chaque élève de CM2 la mémoire d’un enfant disparu dans la Shoah a suscité des réactions très vives. Psychanalystes, enseignants, syndicats d’enseignants, opposants, politiques ont tenté d’exploiter ce qu’ils croyaient être une faille dans la « pensée » ou la « stratégie » de Nicolas Sarkozy, qui répondait au souci exprimé par le Président Richard Prasquier de poursuivre le travail de mémoire et d’enseignement de la Shoah.
Des bruits ont circulé sur la tentative de récupération du vote juif à quelques semaines des élections municipales, certains ont même expliqué qu’il s’agissait d’un prolongement de son discours sur la morale et la laïcité. Mauvais procès politiques ou idéologiques. Et puis, bien d’autres sujets auraient pu susciter polémiques et réactions : ses propos sur la « colonisation », la vente du nucléaire civil aux pays du Moyen Orient, son discours sur la Pologne…
Simone Veil, qui participera finalement à la mission de Xavier Darcos sur la Shoah, avait formulé des commentaires sévères contre la proposition de Nicolas Sarkozy : « inimaginable, insoutenable, dramatique et, surtout, injuste ». En écho, l’historienne Annette Wieviorka complétait : « Je trouve étrange et malsain que ce Président qui prétend représenter la jeunesse, ne donne aux jeunes comme modèles que les jeunes assassinés »...
Comme si l’essentiel avait été oublié. En parlant des enfants, des onze mille enfants juifs de France déportés et exterminés à Auschwitz, le Président de la République a touché à ce qu’il y a de plus triste et de plus injuste, de terrible et d’incompréhensible : la mort des enfants auxquels le cinéaste Louis Malle nous avait appris à dire « au revoir ».
De Raul Hilberg à Saul Friedländer, les grands spécialistes de l’histoire de la Shoah ont écrit qu’ils ne parviendraient jamais à comprendre les crimes commis contre les enfants, dans les ghettos, les camps, à l’occasion des tueries collectives.
L’extermination des enfants apparaît comme l’aboutissement du système mis en place pour détruire les Juifs d’Europe. Les violences, les tortures, les expériences médicales qu’ils subirent sont indicibles, inconcevables.
Ce qui est inexplicable risque de s’oublier. Il faut inlassablement le répéter, inlassablement le dire et parfois le crier : il est interdit d’oublier Auschwitz, et il est interdit d’oublier que 90% des victimes d’Auschwitz étaient des Juifs. Il est interdit d’oublier qu’un million cinq cent mille enfants juifs furent déportés et exterminés. Les enfants, voilà l’inexplicable.
Nicolas Sarkozy a proposé de mettre la mémoire en action. La mémoire des enfants juifs disparus, rappelée par des enfants qui prendront ainsi conscience de l’atrocité et de la complexité de la condition humaine. Les plaques commémoratives ne suffisent pas. Les livres ne sont pas lus. La mémoire se transmet par la connaissance et par l’émotion.
Le projet initial a été sensiblement modifié, mais contre l’oubli, les classes de CM2 reconstitueront avec leurs professeurs l’itinéraire d’un enfant de la Shoah. Serge Klarsfeld se dit favorable à cet exercice de mémoire : « les élèves qui se souviendront d’un enfant dont la vie a été tranchée par l’intolérance et la haine raciste seront mieux armés contre les idéologies extrêmes et contre la violence ». Le devoir de mémoire devient un acte de mémoire, qui concerne toute la République. La mémoire juive, c’est aussi la mémoire de la France.
Encore une fois, par pudeur ou ignorance, la mémoire de la Shoah a réveillé « un passé qui ne passe pas ».
En Israël, dès l’âge de 5 ans, les enfants observent aussi le silence pendant que retentit la terrible sirène qui oblige les Israéliens à ne pas oublier, debout, la tête basse. Souvent les larmes coulent sur les joues des adolescents, qui prennent conscience de l’ampleur de la catastrophe, après avoir écouté pendant leur enfance, des histoires d’enfants qui leur ressemblaient. C’est cette conscience-là qu’il faut faire partager, parce que la mémoire d’Auschwitz est universelle.
A New York, des classes d’enfants de onze ans, de Spanish Harlem ou du Lower East Side visitent la mémoire des enfants de leur âge disparus dans la Shoah. Dans les musées, les expositions ou au célèbre YIVO (Institut Scientifique Juif), ils découvrent qu’un monde s’est éteint et comprennent que sa mémoire doit être préservée.
Douze ans après la reconnaissance par Jacques Chirac de la responsabilité de l’Etat français dans la Shoah, Nicolas Sarkozy a levé un autre tabou. En 1945, dans les classes des écoles de France, il manquait onze mille élèves.
Ce soir, nous pensons à Guilad Shalit, Eldad Reguev et Ehoud Goldwasser. Nous pensons à leurs familles.
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