samedi 23 février 2008

SOUS LES PAVES , LA PLAGE

"Les jeunes sur scène répercutent les voix qui ont été étouffées avant l'heure.
Ces jeunes nous les font entendre et ensemble, ils chantent l'espoir de nouvelles voies"

Shimon Peres, Président de l'Etat d'Israël

Ce message illumine l'écran géant tandis que, sur la scène, un orchestre de Lilliputiens accorde ses instruments. Nous sommes au Palais de l'UNESCO. Comme tous les deux ans, les enfants prodiges d'Israël se produisent au profit de Yad Layeled * ("Un Lieu pour l'enfant"). Ce musée de St Jean d'Acre est dédié aux seuls enfants morts durant la Shoah.

Musée unique au monde sur les enfants, pour les enfants. Il raconte la vie des enfants déportés à partir des documents laissés par eux-mêmes.

Ce musée permet de raconter ces enfants vivants, pour les garder vivants dans les mémoires.

Il n'en constitue pas moins un testament. Quand des enfants finissent au musée et laissent un testament au monde à venir, il est temps de se poser la question sur ce monde.

Quel adulte digne des ogres mangeurs d'enfants peut conduire un million et demi d'innocents dans les vitrines d'un musée ?

Quels adultes inconscients peuvent effacer d'un revers de main cette tragique page d'histoire contemporaine, et la culpabilité collective qu'elle suscite?

Mais la musique est là pour un moment de communion avec ce qu'Israël peut offrir de plus beau: une jeunesse éclatante et saine, cent quarante quatre enfants de onze à dix sept ans, qui vont tour à tour nous émouvoir nous éblouir.

Des solistes dignes des plus grands interprètes qui interpellent et posent la question implicite: Combien d'autres futurs-ex virtuoses sont aujourd'hui de simples petits cartons dans les tiroirs du musée?

La chorale dirigée par le directeur de l'Opéra de Tel Aviv chante; l'autre, le frère, le différent: Ismaël, Ismaël et poursuit sur le poème de Barzilaï "j'avais un ami, un jour il fut emmené à la douche, et je ne le vis plus jamais".

Mais revenons en France où une proposition officielle provoque bien des remous. Le constat est sévère: Selon une enquête Ifop, 85% des sondés désapprouvent l'idée que chaque élève de CM2 se voie confier la mémoire d'un enfant juif mort. Les aménagements proposés ne convainquent pas non plus. (Le Figaro 22 02 08)

Je ferme les yeux, je me bouche les oreilles, circulez, il n'y rien à faire, rien à voir.

Et pourtant ! Une enseignante en charge de jeunes Gitans dans le sud de la France m'explique que son travail sur la mémoire de la Shoah est désormais central avec ces enfants: Personne ne leur en avait jamais parlé! Nombre d'entre eux savent seulement qu'un parent proche ou lointain est "mort la bas très loin, il parait chez des sauvages, on ne m'a pas dit pourquoi, mais il ne faut pas en parler".

On en parle dans cette classe, on regarde et on projette des documents, on visionne des films de l'époque.

Des enfants qui passaient jusque là pour ne s'intéresser à rien, posent des questions, veulent comprendre, veulent savoir. Qui sont ils? D'où viennent ils? Que s'est il passé pour leur peuple ? Un fondamental cheminement de recentrage, d'appartenance, pour des enfants vécus par le système comme des épaves.

La mémoire, parlons en justement, sans manipulation aucune.

Eté 1942 à Paris

Vers le 15 Août 1942, sont déportés de Pithiviers et Beaune la Rolande, les enfants de moins de douze ans séparés de leurs parents. N'oublions jamais que Laval a suggéré aux Allemands de déporter aussi les enfants.

Le massacre des innocents est entrepris. Il nous suffira de transcrire dans leur vérité crue, des extraits de témoignages d'adultes en charge de ces enfants. Le lecteur se fera juge de la difficulté à transmettre l'intransmissible. Face au négationnisme rampant, il nous faut pourtant laisser des traces.

Voici quelques parcours anonymes abandonnées au lecteur tels une poignée tragique de feuilles mortes. Le livre mémorial de Serge et Beate Klarsfeld (Le mémorial de la déportation des juifs de France) nous guide dans cette descente aux enfers.

Professeur Georges Wellers:

"Dans la 2ème moitié d'Août, on amena à Drancy 4000 enfants sans parents, âgés de 2 à 12 ans. On les déchargea des autobus au milieu de la cour, comme de petites bestioles. La plupart ne savaient pas où étaient leurs bagages difficiles à reconnaître, et pendant longtemps des enfants de quatre, cinq, six ans se promenaient parmi eux, croyant à chaque instant retrouver le leur.

Les enfants se trouvaient par 100 dans les chambrées. C'était l'époque de la soupe aux choux à Drancy. Tous les enfants souffrirent d'une terrible diarrhée. Ils salissaient leurs vêtements et les matelas sur lesquels ils passaient jour et nuit.

Chaque nuit on entendait sans interruption les pleurs des enfants désespérés, et, de temps en temps des cris aigus des enfants qui ne se possédaient plus.

La veille de leur déportation les enfants passèrent à la fouille, comme tout le monde. Les garçons et les fillettes de deux ou trois ans, entraient avec leur petit paquet ou les inspecteurs de la "Police aux Questions Juives" fouillaient les bagages. Les petites broches, les boucles d'oreilles les petits bracelets des fillettes étaient confisqués par les PQJ."

Odette Daltroff-Baticle, elle-même internée puis libérée, écrit dans ses notes:

"Le capitaine Vieu, sombre brute, met en prison un adorable petit garçon de trois ans. Des autobus arrivent. Nous en sortons des petits êtres dans un état inimaginable. Ils ont entre 15 mois et 13 ans. Leur état de saleté est indescriptible. Ils ont tous la dysenterie. Leur linge est souillé et leur petit baluchon ne vaut guère mieux.

Jamais nous n'oublierons les visages de ces enfants. Ils sont graves, profonds. Dans ces petites figures, l'horreur des jours qu'ils traversent est stigmatisée en eux.

Une petite fille de 5 ans me dit "n'est ce pas madame, ils ne me la prendront pas ma médaille, c'est pas de l'or"

Les petits ne savent pas leur nom "mais je suis le petit frère de Pierre!"

Les coucher à trois ou quatre sur des paillasses infectes. Beaucoup n'avaient plus de chaussures et sont partis nus pieds. Avant le départ on les passait à la tonte. Un petit garçon pleurait à chaudes larmes. Il avait 5 ans Des cheveux blonds bouclés. Il ne voulait pas qu'on lui coupe les cheveux sa maman en était si fière, il fallait qu'elle retrouve son petit garçon intact.

Nous devions les préparer au départ à partir de trois heures du matin. En entrant dans ces chambrées il y avait de quoi se trouver mal. Les plus petits étaient incapables de porter leur petit paquet. Les gendarmes sont montés et ont bien su les faire descendre.

Au moment du départ, je ne puis oublier la voix de ce petit garçon de 4 ans qui répétait sans arrêt sur le même ton avec une voix grave de basse incroyable dans un si petit corps

"Maman, je vais avoir peur, maman, je vais avoir peur"

Julie Cremieux-Dunand, dirigeante de la Croix Rouge:

On a vu un garçonnet de 8 ans se jeter sur sa petite sœur, la prendre dans ses bras et dire : "Je ne veux pas qu'on me l'enlève, je n'ai plus qu'elle"

Les enfants n'ont pour boire que des boites à conserve vides. Certains nous tendent une boite à sardine que nous remplissons plusieurs fois. Comment oublier tout cela?

Ils dorment enlacés, de petits bonshommes de trois ans protégeant les plus petits.

Mémoire, Histoire.
Wiesel l'avait dit en son temps: "Laissez les morts enterrer les morts".

Josiane Sberro© Primo, 22 février 2008

* http://www.yadlayeled.org

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