dimanche 26 avril 2009

LA MUSIQUE DANS L'ENFER DU CAMP DE TEREZIN


Le camp de Terezin.
Photo: AP , JPost
Par DAVID HERSCHEL


Fondée en 1790 par l'Empire d'Autriche pour servir de ville de garnison, Terezin (Theresienstadt) se trouve en Bohême du Nord, à 60 km de Prague. Quand les nazis prennent le contrôle de la ville, ses remparts impénétrables leur semblent idéalement conçus pour en faire un camp de transit destinés aux Juifs des pays tchèques et autres Etats limitrophes.

Fin 1941, sept-mille Juifs tchèques y sont détenus. Jusqu'à la débâcle allemande, Terenzin verra transiter environ 140 000 Juifs : 33 000 mille mourront sur place de famine ou de maladie, et 88 000 seront déportés vers Auschwitz ou d'autres camps d'extermination.

Comble de l'infamie, les nazis utilisent le site comme instrument de propagande pour faire taire les inquiétudes de la Croix-Rouge. De nombreux artistes juifs étaient internés à Terezin, dépêchés par les nazis depuis toute l'Europe : peintres, cinéastes, musiciens, dramaturges, leurs talents devaient être instrumentalisés pour cacher leur propre mise à mort et celle de millions de leurs coreligionnaires.

Et paradoxalement, du point de vue des artistes eux-mêmes, former des orchestres, monter des spectacles, était une forme de résistance à l'oppression et au désespoir. Créer pour garder le sentiment de leur propre dignité.
Rescapée du camp, Greta Hoffmeister donnera sa propre définition du mot musique à Terezin : « La musique était la vie ! »

Au milieu de la terreur, de la torture et de l'humiliation, se montent des opéras à Terezin, sur des scènes de fortune : La Fiancée vendue et Le Baiser de Smetana, les Noces de Figaro de Mozart, mais aussi le Requiem de Verdi, Elijah, l'oratorio « biblique » de Mendelssohn, ou encore Brundibar, l'opéra pour enfants du compositeur tchèque Hans Krasa, chanté par les petites victimes avant leur départ vers « l'Est », une œuvre destinée à devenir le symbole de la vie musicale dans le camp.

Les œuvres laissées par les quinze compositeurs internés sont d'une extraordinaire qualité, et empreintes d'un intense lyrisme. Outre Krasa, dont le Brundibar fait l'objet de plusieurs versions discographiques, Viktor Ullmann, Pavel Haas et Gideon Klein se détachent particulièrement. Enregistrées aujourd'hui par les meilleurs interprètes, leurs œuvres - dont une partie seulement nous est parvenue - permettent de comprendre à quel point la Shoah est une tragédie non seulement humaine, mais culturelle : les chefs-d'œuvre laissés par ces jeunes gens assassinés auraient auguré, dans d'autres circonstances, de destins artistiques majeurs.

Il est permis de penser que les grandes révolutions musicales de la seconde moitié du 20e siècle, sans en être foncièrement bouleversées, auraient éprouvé leur empreinte et leur influence.
Gideon Klein était le plus jeune d'entre eux, et sa mort, considérée comme la plus grande perte de la musique tchèque. Né en 1919, pianiste virtuose, il donnait à Terezin de nombreux récitals, se servant de sa seule mémoire pour interpréter un vaste répertoire. Sa Sonate pour piano poursuit un atonalisme libre, un expressionisme, proches d'Alban Berg mais très personnels ; son Trio à cordes utilise des éléments folkloriques moraves, qui évoquent Janacek et Bartók.

Viktor Ullmann, ancien élève d'Arnold Schönberg, laissait plus librement cours à sa veine romantique. Sa rencontre avec l'enfer de Terezin devait raviver le sentiment de son identité juive : dans le camp, il compose des mélodies sur des textes hébraïques et yiddish. Parmi ses vingt-cinq (!) pièces écrites à Terezin, se détache l'opéra L'Empereur d'Atlantis, satire saisissante du totalitarisme, qu'il n'entendra jamais… Comme le raconte Alexander Goldscheider, Ullmann, craignant le pire, n'emportera pas ses œuvres avec lui lorsqu'il est déporté vers Auschwitz. Il laissera des instructions pour que ses partitions soient transmises secrètement de main en main. Grâce au courage de ses amis, ses œuvres lui survivront.

Quant à Pavel Haas, seules trois de ses pièces écrites à Terezin nous sont parvenues, dont les Quatre Chants sur des Poèmes Chinois, tour à tour désespérés et nostalgiques. Ils évoquent une terre natale, lointaine, que l'auteur languit de revoir un jour. Pour Haas, pas plus que pour Ullmann, Krasa, Klein et leurs compagnons de talent et d'infortune, cet espoir ne se réalisera.


Discographie sélective :

Pavel Haas : Quatuors à cordes, par le Quatuor Kocian. Praga Digitals, dist. Harmonia Mundi.

Music from the Holocaust : œuvres pour piano de Haas, Ullmann, Klein, Karel Berman, par Paul Orgel, disque Phoenix PHCD 161

Hans Krasa : Brundibar. Dir. Joza Karas. Channel Classics Records, collection Composers from Theresienstadt.

Viktor Ullmann: Symphonies n°1 et n°2, Six Lieder, Don Quixote Tanzt, Fandango. Dir. James Conlon, Capriccio 67017.

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