lundi 2 juin 2008

COMPRENDRE RAVENSBRUCK ET BUCHENWALD

LE MONDE


Le lecteur français disposait jusqu'à présent du Ravensbrück de Germaine Tillion, publié en 1946, remanié en 1973 et 1988. Il faudra dorénavant compter aussi avec la traduction française de la thèse de l'historien allemand Bernhard Strebel, publiée en Allemagne en 2003. Fondée sur des archives éparses, lacunaires mais nombreuses, et sur des témoignages, cette recherche minutieuse constitue une belle avancée.



Ouvert le 18 mai 1939, libéré le 30 avril 1945, situé à 90 kilomètres au nord de Berlin, Ravensbrück, seul camp de femmes du système concentrationnaire nazi jusqu'en 1942, vit passer quelque 123 000 détenues venues de toute l'Europe. Strebel retrace l'histoire et reconstitue l'organisation de cette jungle. Son apport principal est d'embrasser l'intégralité d'un complexe concentrationnaire comprenant, entre autres, un camp d'hommes (20 000 détenus servant de main-d'oeuvre pour les incessants travaux d'agrandissement), un "camp de protection pour jeunes", une usine Siemens et 37 camps satellites travaillant pour l'économie de guerre allemande.

Dans ce complexe moururent 28 000 personnes, dont la moitié dans les quatre mois précédant sa libération, quand affluèrent les détenus d'autres camps évacués devant l'avance des troupes alliées.

UN COMITÉ DE RÉSISTANCE


Dans tous les camps, par souci d'efficacité et par perversité, les nazis déléguaient des responsabilités à des déportés. Olivier Lalieu revient sur cette question à propos de Buchenwald, créé dans les environs de Weimar en 1937. Là s'organisa une résistance dominée par les communistes.

Un Comité des intérêts français (CIF), créé en juin 1944, et dont les figures de proue étaient Marcel Paul et Frédéric-Henri Manhès, permit aux Français, mal vus des autres nationalités, de se faire respecter. Disséminés dans les structures administratives du camp, ses membres sauvèrent des vies, oeuvrant dans ce que Primo Levi a appelé « la zone grise », cet espace qui séparait et reliait à la fois les deux bords des maîtres et des esclaves.

Marcel Paul, ministre communiste du général de Gaulle en novembre 1945, et Frédéric-Henri Manhès, membre de son cabinet, subirent en 1946 des attaques de l'extrême droite, qui accusait l'organisation clandestine d'avoir choisi les déportés à sauver en fonction de critères politiques. Ces attaques rebondirent ensuite périodiquement.

Au terme d'un examen complet et probe, Lalieu conclut que l'action du CIF fut salutaire pour les déportés. Sans nier les limites, les contradictions ni les dérives de l'action clandestine, il rappelle qu'elle dut composer sans cesse avec la cruelle réalité. Une réalité difficilement intelligible, comme le notait, dès 1947, David Rousset dans Les Jours de notre mort : "Comprendre ? Qui jamais comprendra Buchenwald ?"
Laurent Douzou

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