vendredi 13 juin 2008

L'histoire héroïque d'une résistance civile contre l'antisémitisme

LE MONDE



Dans l'histoire de la persécution des juifs par les occupants allemands et par Vichy, le dévouement de certaines communautés protestantes, comme celle des villageois du Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire) et des alentours, a un caractère extrêmement rare : celui d'un engagement collectif pour la défense des réprouvés de l'heure. On estime en effet de 3 000 à 5 000 le nombre de réfugiés juifs passés par le plateau du Vivarais-Lignon, soit autant, voire plus, que ce que le réseau catholique de sauvetage Zegota parvint à réaliser, à la même époque, à l'échelle d'un pays grand comme la Pologne. Les documents fournis par l'actuelle mairie du Chambon affirment avoir à ce jour recensé 3 458 passages.




La tradition d'accueil de cette localité convertie majoritairement au protestantisme en 1560 commence dès avant 1939. En visite au Chambon, peu de temps après la défaite de mai-juin 1940, le président de la Fédération protestante, le pasteur Marc Boegner, qui séjourne chez ses dirigeants, le maire Charles Guillon, les pasteurs Edouard Théis, André Trocmé et sa femme Magda, découvre qu'on y héberge des objecteurs de conscience et qu'on s'y montre fort hostile au régime de l'Etat français.

Cet esprit réfractaire, qui sera aussi celui d'autres localités protestantes comme Dieulefit, dans la Drôme, ou Malzieu-Ville, un village de Lozère, se manifeste avant même les rafles massives de juifs qui marquent l'été 1942. Les maisons des habitants s'ouvrent aux fugitifs, qu'ils soient isolés ou encadrés par la Cimade (Comité intermouvement auprès des évacués), protestant, l'OSE (Organisation de secours aux enfants), juive, ou le Secours suisse. Patronnée par Mireille Philip, la femme du député (SFIO) du Rhône, une filière d'évasion en direction de la Suisse transitant par Annemasse y a également fonctionné.

ESPRIT D'INDÉPENDANCE


L'esprit d'indépendance par rapport à l'air empoisonné du temps se traduit également lors de la visite officielle de Georges Lamirand, secrétaire d'Etat à la jeunesse de Vichy, le 15 août 1942. Refusant de prêcher en sa présence, les pasteurs lui remettent une lettre de protestation contre la rafle du Vél' d'Hiv qui a eu lieu le 16 juillet 1942 à Paris. Les expéditions de gendarmes se multiplient, dont ils reviennent le plus souvent bredouilles. Toutefois, la thèse d'une protection du plateau par le commandant de la garnison allemande du Puy-en-Velay, le major Schmäling, semble contredite par les représailles qu'endurèrent les sauveteurs pour leur opposition ouverte aux autorités. En février 1943, André Trocmé et Edouard Théis sont arrêtés. Il ne sont relâchés que sur intervention du pasteur Boegner auprès de René Bousquet, secrétaire général à la police de Vichy. Une descente de la Gestapo, le 29 juin 1943, à la Maison des Roches, l'un des internats du collège cévenol, coûtera par contre la vie à son directeur, Daniel Trocmé, mort en déportation au camp de Buchenwald, en avril 1944.

Nicolas Weill

Aucun commentaire: