Cher (e)s ami (e)s,
Le CIR à l'honneur de vous proposer la lecture du Discours prononcé par notre ami Joseph ZISS membre de la Communauté Juive de Fontenay -Aux -Roses lors de la cérémonie commémorative de la rafle du VEL'DHIV , hier à la mairie de SCEAUX.
Rabbin Mikael JOURNO
Monsieur le Maire de Sceaux,
Mesdames et Messieurs les membres du conseil municipal
Monsieur le Rabbin,
Chers concitoyens et chers amis,
16 Juillet 1942
De Tunis au Cap Nord, de Brest aux confins du Caucase, les armées nazies, une fois stabilisées leurs avancées de l’année précédente et remises de leurs premiers revers sérieux devant Moscou, se ruent à nouveau à l’assaut du désert et de la steppe. Si une grande voix avait prophétisé dès Juin 40 l’issue ultime et inéluctable du conflit, qui se serait alors risqué à prédire que ces nouveaux coups de boutoir iraient s’enliser puis refluer l’hiver suivant, dans encore six longs mois, mais cette fois irréversiblement, sur les rives de la Volga et dans les sables tunisiens ?
En France, les ténèbres s’étaient abattues dès Juillet 40 sur un grand nombre de citoyens de ce pays, qui avait provisoirement cessé d’être notre pays. La présence en France de certains d’entre eux remontait à des temps immémoriaux dont témoignent tant de monuments et de fouilles aux quatre coins de ses provinces. D’autres, d’accueil plus récent, furent superbement qualifiés par le poète de « français de préférence ». Ce fut pourtant leurs noms « difficiles à prononcer », qui, affichés quelques années plus tard en rouge sur les murs de nos villes, portèrent et sauvèrent une part de l’honneur de la France. Il s’agissait enfin de réfugiés fuyant les exactions plus récentes d’outre-Rhin, hôtes de notre république, confiants en sa protection et son hospitalité. A tous ceux-là, l’engrenage du recensement, des discriminations et des interdits avait été imposé sans attendre, selon des critères absurdes, aux antipodes des principes fondateurs de notre pacte républicain et national, suivis d’une mise en œuvre aux modalités implacables. Ainsi, toute une machinerie à la fois cruelle et grotesque, s’était mise en place dès les lendemains mêmes de l’armistice honteux de Juin 1940 et de l’attribution des pleins pouvoirs au Maréchal Pétain, profitant sans attendre d’une cascade d’évènements infamants qui constituèrent aux yeux de certains ce que Maurras osa appeler une « divine surprise ». Heureux fonctionnaires du Conseil d’Etat, jamais révoqués et encore moins poursuivis, et de quelques autres administrations, qui ne trouvèrent rien de mieux à faire, dès les premiers jours du régime de Vichy, que d’anticiper les désirs de l’occupant et de peaufiner des versions successives d’un statut des juifs, anéantissant ainsi l’héritage de la révolution dans un de ses fondements les plus symboliques, bafouant la mémoire de l’Abbé Grégoire, prenant une revanche inespérée sur Dreyfus et foulant aux pieds le principe même de la laïcité, attentant ainsi à un des socles fondateurs essentiels de notre pays et de son contrat républicain, moins de 40 ans après sa proclamation par le Parlement, principe intangible et plus que jamais vital.
Tout cela appelait réparation pour que notre pays, par le rétablissement, la célébration et la mise en œuvre de ces principes, redevienne une nation exemplaire. C’est bien sûr tout le sens que nous voulons donner à cette commémoration républicaine, si émouvante et si justement entrée dans nos mœurs comme pacte réparateur et refondateur, ouvert à tous, tout à la fois intemporel et ancré dans la mémoire encore douloureuse d’évènements précis.
16 Juillet 1942. A l’heure où les hordes nazies repartaient à l’assaut et pouvaient se croire durablement triomphantes, une nouvelle étape du calvaire des français juifs, certains rétroactivement déchus de leur nationalité, ou encore de juifs réfugiés, se mettait en place, une fois parachevé le rôle de ces préliminaires que furent l’exclusion sociale et les spoliations économiques, assorties de tout un cortège d’humiliations inscrites dans les réalités quotidiennes les plus vitales, sans qu’aucune odieuse mesquinerie n’ait été omise par des metteurs en scènes à la sordide méticulosité.
Tout cela n’était d’ailleurs pas tombé du ciel, si l’on peut dire : entre le quolibet d’apparence anodine et les délires plus directement haineux, les esprits avaient été insidieusement empoisonnés et préparés à accepter le pire. Tout un chacun pouvait ainsi allégrement s’approvisionner à son goût, aux rayonnages bien fournis d’un immense supermarché de la bêtise et de l’ignorance fait de propos de café de commerce, de tirades de chansonniers, de réparties de théâtre de boulevard ou encore de grasses plaisanteries de pseudo-humoristes, dont on aimerait à croire qu’ils ont tout à fait disparu des mœurs et du vocabulaire d’aujourd’hui. Tout ce dévergondage plus ou moins irresponsable ne paraissait pas vraiment porter à conséquence. Ce fut pourtant le terreau du drame dont nous commémorons aujourd’hui le souvenir.
D’expulsions en pogromes, de rumeurs en calomnies délirantes, une histoire ancestrale, déjà lourde de drames à répétition avait pourtant tout révélé de tels engrenages, même si le drame qui se déchainait en ce 16 Juillet 1942, allait se déployer à une échelle encore inédite.
Toutes les consciences n’étaient toutefois pas pour autant perverties ou à tout le moins anesthésiées par ces différentes étapes de la mise en place d’un pire encore à venir. A la veille du drame, certains avaient en effet déjà contribué à sauver l’honneur d’un pays qui avait littéralement trahi les siens, sans attendre que la loi ne vienne inscrire une nécessaire rédemption dans le calendrier de la République.
C’est vers ces consciences éclairées qu’il nous appartient aujourd’hui de nous tourner, c’est à elles que nous devons rendre hommage, elles dont nous devons nous employer à préserver et à transmettre l’héritage exemplaire. A défaut, nous risquerions de tomber dans le pathos et la stérilité du désespoir. Nous prendrions alors le risque de détourner l’attention des jeunes en manquant à l’essentiel de notre mission : celle de leur transmettre le flambeau que nous tenons nous-mêmes de nos aînés, parents, frères et sœurs, certains vivants trésors et héros de la survie, pas seulement celle des camps et des caches, mais aussi et peut-être surtout de la difficile reconstruction de l’après-guerre et de la foi en l’avenir, humbles héros, auxquels certains d’entre nous doivent d’être là aujourd’hui. Sans oublier au premier chef les plus nombreux, de mémoires bénies qui disparurent dans la Shoah, dont le manque tourmente encore les survivants, et dont nous égrenons inlassablement les noms chaque année dans d’autres lieux, au risque d’impatienter quelques belles âmes promptes à y voir on ne sait quel ressassement. Nous faillirions également à transmettre l’exemple de ceux que leur conscience a guidés avec sûreté, ceux qui ont su tendre la main aux persécutés aux heures les plus désespérantes, consciences vivantes et éclairantes associant « celui qui croyait au ciel » à « celui qui n’y croyait pas ». Les récits de tous ces grands acteurs et témoins du drame, entendus directement ou relayés et authentifiés par les historiens, conservés dans les archives de Yad Vashem comme dans celles du Mémorial de la Shoah, sont le meilleur rempart à opposer aux profanations négationnistes. Innombrables témoignages de ces cas d’aide active qui sauvèrent la vie de familles entières sur lesquelles des mâchoires bestiales allaient se refermer : policiers contrevenant aux ordres en prévenant les familles de leur arrestation imminente, gardiens d’immeuble cachant des enfants, paroisses parisiennes distribuant d’innombrables faux certificats de baptême, gendarmes favorisant des évasions des camps, faussaires et experts en faux papier, passeurs et membres des réseaux de sauvetage. L’histoire de ces Justes est largement entreprise et un hommage imprescriptible leur a été rendu, en janvier 2007, dans le plus haut lieu de notre mémoire national, le Panthéon, sanctifiant leur action et la situant au niveau des plus hauts faits d’arme, et peut-être même au-delà.
« Non par la force mais par l’esprit » dit l’Eternel Dieu des Armées.
C’est ainsi que l’opération policière criminelle connue sous le nom de rafle du Vel d’Hiv, aussi horrible qu’en aient été le déroulement et les conséquences, subit un échec relatif au regard des normes fixées par l’occupant, en nombre d’arrestations par catégories, femmes, hommes, vieillards, enfants, ou encore par quotas de nationalités. C’est cette amère victoire, mais victoire quand même, que nous préférons commémorer aujourd’hui. Le nombre de vies sauvées, sans être évidemment indifférent, n’est pas ici la question ultime dans le domaine sacré de la vie humaine où toute comptabilisation doit être relativisée – « Qui sauve une vie sauve le genre humain » comme nous l’apprend le Talmud – . Ces gestes salvateurs nous rendent jusqu’à ce jour des raisons d’espérer et le sentiment que même à l’heure de la détresse ultime, une main amie peut sortir de l’ombre pour en saisir une autre, que rien n’est en effet jamais perdu.
Solidarité agissante, spontanée et anonyme, n’obéissant le plus souvent à aucune consigne explicite - il n’y en eut guère hélas - sauvant dans ces mouvements individuels l’honneur collectif d’un pays à l’heure même où celui-ci trahissait ses fils et ses filles, où, peut-être plus gravement encore, il trahissait le devoir sacré de l’hospitalité qu’il devait, entre tous, à ceux qui, fuyant d’autres persécutions, étaient venus se mettre avec confiance sous sa protection.
Beaucoup de ceux-ci avaient en effet justement reconnu dans ces valeurs dont nous célébrons aujourd’hui la précieuse et fragile restauration, le reflet fidèle de celles là même qui leur avaient été enseignées dans leur propre tradition, une tradition qui les avaient proclamées et sanctifiées pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, valeurs en vérité universelles, vouées à devenir la propriété et l’honneur de l’humanité tout entière.
Valeurs qui avaient en tout cas valu aux juifs le redoutable honneur d’avoir été reconnus par les nazis, entre tous leurs adversaires, contre toute logique militaire, mais de façon philosophiquement parfaitement fondée, comme leurs ennemis quintessentiels les plus irréductibles, sinon hélas les mieux armés au sens matériel. Appelé hier national-socialisme, comment se nommeront demain, comment reconnaître dès aujourd’hui, les nouvelles têtes de la même hydre, repoussant inlassablement à mesure qu’on les tranche ? Certes, elles se présentent à nous masquées, de façon parfois inattendue, mais aussi, sans prendre ces égards, à visage quasi découvert, s’offrant comme la Méduse à la fascination morbide de quelques uns, ou s’assurant par avance la complicité passive du plus grand nombre, celui des indifférents, qui ne pourraient pas se dissimuler à nouveau derrière les « Je ne savais pas » ou les « Je n’avais pas voulu cela ». Combat qu’il faut donc continuer à livrer inlassablement sans perdre espoir, mais sans illusions non plus sur la fécondité d’une bête aux ruses infinies, servies par des moyens de de propagande et de destruction devenus démesurés, maintenant de nature à faire périr l’humanité, corps et âme.
Valeurs sacrées et universelles dont nos pères, français de longue date ou bien d’élection plus récente, ont tous conjointement rêvé l’avènement, chacun à sa façon et à son échelle, et que nous commémorons aujourd’hui dans cette belle fête de la réconciliation, ouverte à tous, porteuse d’avenir et de renouvellement, dans la joie d’être ensemble en ce jour, unis dans la fidélité et l’espérance…malgré tout.
Joseph Zyss
Sceaux, le 20 Juillet 2008
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