dimanche 20 juillet 2008
WEST SIDE STORY SANS MARIA
Lynchage de Ruddy Haddad dans le 19ème : Sammy Ghozlan remet les pendules à l'heure
Jadis, dans les années 70, des villes de banlieue parisienne étaient le siège de guerres des bandes.
Le 21 juin, le jeune Rudy a frôlé la mort lors d'un passage à tabac sauvage à quinze contre un. Le procureur de la République a ouvert une information judiciaire avec pour chef d'accusation : tentative de meurtre aggravée par le caractère antisémite et violence en réunion avec circonstances aggravantes.Si la violence de l'agression ne fait pas débat, tout semble désormais tourner autour de l'origine de l'agression : antisémitisme versus guerre des gangs. Le procureur a décidé de maintenir la thèse de l'antisémitisme. Il semble de plus en plus, pourtant, qu'il y ait bien une guerre des gangs derrière toute cette histoire. Mais les deux versions sont-elles incompatibles ?
On cherche à nous rassurer, et cela est légitime : à la télévision, cette mère musulmane explique qu'elle travaille au marché avec des Juifs, qu'ils s'entendent très bien. Cette jeune Noire raconte que Juifs, Noirs et Arabes se côtoient tous les jours et qu'il n'y a pas de problème. Cela existe, heureusement.
Mais les Juifs savent qu'il y a un problème. Le shabbat en particulier, les Juifs pratiquants se promènent, traversent le parc des Buttes-Chaumont, vont tout simplement d'un point à un autre. Le jeu : les harceler, les intimider, les empêcher de trouver un banc libre au parc, leur faire sentir que l'espace public n'est pas pour eux. Constamment harcelés, l'insulte étant le plus minime des comportements agressifs, ils refusent pourtant de raser les murs.
Ne soyons pas naïfs pour autant : les tensions intercommunautaires existent, notamment dans le XIXe arrondissement de Paris. Il y a aussi des bandes de jeunes Juifs qui commencent les provocations. Tous ne sont pas des anges. Et si on peut en effet voir une guerre des territoires, il faut aussi avoir le courage de regarder l'autre guerre.
Au début des années 2000, la classe politique avait mis plus d'un an à reconnaître la nature antisémite des actes en alarmante augmentation. Les vérités dérangent. Alors la vieille recette de la communautarisation, du «chacun sa responsabilité» ressort aujourd'hui en guise de description équilibrée de la situation.
Mais la situation est totalement déséquilibrée. Où a-t-on vu des policiers monter la garde devant une mosquée ou une école musulmane ? Non, les policiers montent la garde devant les synagogues et les écoles juives. Car ce sont celles-là qui sont agressées. Que l'on se remette en mémoire quelques cas emblématiques : collège Montaigne, lycée Voltaire, collège de Brunoy. Mais aussi des croix gammées sur une boucherie cachère à Toulouse, la synagogue de la Duchère à Lyon défoncée par une voiture bélier, le passage à tabac de jeunes Juifs de l'Hashomer Hatsaïr en marge d'une manifestation, le coup de poignard d'un Juif à Epinay-sur-Seine ... Et Sébastien Sellam, puis Ilan Halimi, tous deux morts, l'un dans une affaire étouffée tellement elle dérange, l'autre tristement célèbre.
Dans le XIXe, on n'en est pas au coup d'essai. En décembre 2005, triste exemple d'une longue liste, trois jeunes Juifs sortaient de la synagogue rue Henri-Murger et ont été pris à partie par une dizaine de Français d'origine arabo-musulmane et africaine : Yoni, 20 ans, a été frappé au visage, dans le dos, étranglé et aspergé de gaz lacrymogène. Son petit frère a réussi à s'échapper. Trois mois plus tard, David et son frère Ilan, respectivement 15 et 12 ans, sont tabassés après avoir été traités de «sales youpins». Ils connaissaient leurs agresseurs, élèves au même collège qu'eux dans le XIXe. En mars 2007, un enfant de 13 ans est insulté dans le XIXe, «sale Juif, retourne dans ton pays ...», puis roué de coups par cinq individus.
Quel parent laisserait son enfant se faire intimider puis agresser ? Si l'on trouve en effet de plus en plus de Juifs dans des écoles juives, c'est bien parce que certaines écoles publiques n'arrivent plus à protéger des agressions des enfants juifs.
Certains, comme Dieudonné, véhiculent des clichés antisémites recyclés : les Juifs qui ont tout, les privilégiés, des «négriers reconvertis dans la banque» pour résumer cette hauteur d'esprit. Sans compter l'amalgame avec le conflit au Proche-Orient. Il est difficile d'imaginer l'impact de ces propos, précisément chez certains jeunes, dont une partie passe à l'acte sans complexe.
A l'opposé, des hommes et des femmes ne misent pas 1 euro sur la haine, mais tout sur la connaissance de l'autre. L'Amitié judéo-noire, Ni putes ni soumises, les Bâtisseuses de paix, Coexist, Paroles de femmes, et puis l'association Amitié judéo-musulmane créée par Michel Serfaty.
M. Serfaty, rabbin de la petite communauté de Ris-Orangis dans l'Essonne, a été agressé en 2003 par un musulman. Avant de quitter l'audience, M. Serfaty a serré la main de son agresseur : «Ce procès n'est ni le mien, ni le sien. C'est celui de sa culture, de son environnement.» Dans la foulée, le rabbin lance une association : l'Amitié judéo-musulmane de France. En bus, le rabbin et un imam vont dans des banlieues difficiles dans toute la France, à la rencontre de jeunes dans le but affiché de briser les préjugés. Et ça marche.
Mais pour détruire les clichés de haine, il faut avoir le courage de les reconnaître. Sécurisons les lieux où les tensions sont vives, et tournons-nous vite, très vite, vers les bâtisseurs du vivre ensemble.
Sammy Ghozlan,Président du Bureau National de Vigilance contre l'AntisémitismeLiberation, 17 juillet 2008
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire