jeudi 4 décembre 2008
Quand Pie XII menaçait d’élever la voix si les Alliés bombardaient les biens fonciers de l’Eglise
Selon une dépêche de l’agence de presse catholique Zenit, de Rome, en date du 1er décembre, après avoir rappelé « le 50e anniversaire de la mort du Serviteur de Dieu, le Pape Pie XII », Benoît XVI, en visite dans la paroisse romaine Saint-Laurent-hors-les-Murs, le dimanche 30 novembre, a évoqué
« un événement particulièrement dramatique dans l'histoire pluriséculaire de votre Basilique, qui a eu lieu, lors du second conflit mondial, lorsque, le 19 juillet 1943, un violent bombardement provoqua des dommages très graves au bâtiment [de la basilique] et à tout le quartier, semant la mort et la destruction ».
Et Benoît XVI de poursuivre :
« On ne pourra jamais effacer de la mémoire de l'histoire le geste généreux accompli à cette occasion par mon vénéré Prédécesseur, qui courut immédiatement porter secours et réconforter la population durement frappée, parmi les décombres encore brûlants ».
Certains estimeront, avec juste raison, que Zenit exagère en ajoutant que ce « geste… n'était pas sans danger pour la sécurité du pape Pacelli ». Mais s’ils parcourent les commentaires de certains médias italiens sur le sujet, cette emphase leur paraîtra discrète en comparaison. Voici ce qu’on peut lire dans une dépêche du 30 novembre 2008, mise en ligne sur le site de l’Agence de presse italienne, AGI News On :
« Ce jour-là, l’habit blanc de son prédécesseur fut maculé du sang de l’un des blessés qu’il était allé réconforter pour faire sentir sa présence de père. (Il apportait aussi de l’aide matérielle, dont beaucoup d’argent liquide : le pape distribua personnellement des billets de mille lires aux personnes qui réussissaient à l’approcher). La mémorable photographie de Pie XII, les bras grands ouverts au milieu de la foule, et son vêtement blanc taché de sang, restera un symbole de la tragédie des habitants et du lien entre l’Eglise et la ville. »
Mais, au-delà de la grandiloquence de ce trémolo verbal, il est difficile de se départir du soupçon que la montée en épingle de cet événement du passé (dont la commémoration n’a même pas eu lieu le jour de l’anniversaire du drame, qui, rappelons-le, s’est produit un 19 juillet) pourrait bien être un énième épisode supplémentaire de la véritable campagne de promotion de la béatification de Pie XII, orchestrée depuis des mois par le Vatican et des zélateurs catholiques de sa cause, pour apaiser les dernières résistances, tant juives que chrétiennes.
Si donc on a estimé, en haut lieu, que cette geste mélodramatique du temps de guerre méritait d’être exhumée de la poussière du temps (à titre de preuve supplémentaire de "l’héroïcité des vertus" du pontife d’alors?) il me semble honnête d’en exhumer une autre, moins apologétique, ne serait-ce que pour mettre les choses en perspective.
On sait que les apologètes de Pie XII répètent sans cesse à qui veut les entendre que le pape a privilégié l’action caritative à la dénonciation publique et claire de la persécution des Juifs, et ce afin de leur éviter de plus grandes tragédies. Outre l’ironie involontaire de cette assertion – que pouvait-il, en effet, arriver de pire aux Juifs, massacrés, déportés, et condamnés à une mort, lente ou brutale, mais inéluctable ? -, un fait historique, au moins, atteste que le pape d’alors était tout à fait capable de parler haut et fort, pour peu que ses fidèles et/où ses biens fonciers soient en danger.
C’est ce qui faillit se produire à l’automne 1941. Le 17 septembre de cette année-là, le pape Pie XII remettait à Myron Taylor, représentant personnel du Président Roosevelt auprès du souverain pontife, un mémorandum relatif au bombardement de Rome, envisagé par les Alliés. Une copie officielle de ce texte est conservée à la Bibliothèque Présidentielle Franklin Roosevelt, aux Etats-Unis.
En voici la traduction française, effectuée par mes soins.
« Selon une émission radiodiffusée par la BBC de Londres, le 24 août [1941], le commandant des forces aériennes britanniques a déclaré que [les Alliés] allaient bombarder Rome elle-même, car ils ne se font pas d’illusions [sens incertain].
La Secrétairerie d’Etat a attiré l’attention de M. Osborne (1) et de M. Tittmann (2) sur le fait que, si la Cité de l’Etat du Vatican, des basiliques, des églises, ou des bâtiments pontificaux et des institutions romaines (très nombreux et d’une très grande importance historique et artistique), venaient à être touchés, le Saint-Siège ne pourrait garder le silence.
Il ne serait pas bon non plus que, dans le cadre des relations cordiales qui existent entre le Saint-Siège et l’Angleterre, se produise quoi que ce soit qui les modifie ou les détériore.
M. Tittmann a assuré qu’il porterait l’affaire à l’attention du Gouvernement américain, qui saura sans aucun doute en évaluer l’importance et la gravité. »
(Note : M. Taylor a exposé ce problème au Premier Ministre, aux "Chequers" [résidence du Premier Ministre], le dimanche 28 septembre 1941, et au ministre des Affaires étrangères, M. Eden. Par la suite, M. Taylor a remis ce mémorandum au Président [des Etats-Unis].)
Je fais mienne la réaction amère de M. Bagel, à ce sujet, sur son blog (3) :
« Je note, avec une ironie attristée, que le pape Pie XII ne fut pas aussi éloquent quand les nombreuses synagogues et lieux de culte juifs - qui étaient "très nombreux et d’une très grande importance historique et artistique", étaient incendiés et rasés jusqu’au sol dans les territoires occupés [par les troupes allemandes]. »
Menahem Macina
© upjf.org
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Notes
(1) Sir Francis d’Arcy Osborne, était le représentant britannique auprès du Saint-Siège, pendant la Seconde Guerre mondiale.
(2) Harold Tittmann était chargé d’affaires auprès du Saint-Siège, à la même époque, en tant qu’assistant de Myron Taylor, représentant personnel du président Roosevelt auprès de Pie XII.
(3) "Caring for G_d's Souls or rather the Vatican's assets?" (Est-ce des âmes des fidèles qu’on se préoccupe, ou plutôt des biens du Vatican ?).
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Annexe
J’ai transcrit une brève séquence d’actualités filmées de l’époque, dont la fiche média et la vidéo y afférant figurent dans les archives de l’Institut National de l’Audiovisuel (INA), sous le titre général : NOUVEAU BOMBARDEMENT DE ROME - France Actualités AF - 10/09/1943 - 00h00m44s. Elle est précédée de l’avertissement suivant :
« Ce document provient des actualités produites et contrôlées par le régime nazi et les autorités vichystes et diffusées en France de 1940 à 1944. »
Titre original de la séquence :
« Suite au dernier bombardement de ROME. Le Pape PIE XII bénit la foule du balcon de ST Pierre. Des lointaines fumées de nombreux incendies s'élèvent au-dessus de Rome. »
Transcription du reportage :
« Voici quelques images de Rome prises pendant le bombardement qu’a subi la Ville éternelle. [Prises de vues des ruines, avec une insistance caractéristique sur celles des églises].
En sa qualité d’évêque de Rome, le Pape est venu visiter les ruines, parmi lesquelles se trouvent des hôpitaux et des édifices historiques, et apporter à la population le réconfort de sa présence. [Quelques prises de vues du pape sortant de sa voiture et bénissant la foule, dans un quartier sinistré, suivies de prises de vues montrant la foule entourant le pape, qui bénit, puis harangue brièvement les fidèles, avant de réintégrer son véhicule.]
Quelques heures plus tard, dans un message radiodiffusé, le pape donnait sa bénédiction apostolique à tous ceux qui se sentent unis à lui dans l’amour de la paix. » [Vue de Pie XII bénissant la foule du balcon du Vatican, réservé à ses apparitions publiques.]
Mis en ligne le 4 décembre 2008, par M. Macina, sur le site upjf.org
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1 commentaire:
"Le 29 novembre 1944, une délégation de 70 rescapés vient,
au nom de la United Jewish Appeal (organisme dirigeant du
mouvement sioniste mondial), exprimer à Pie XII la reconnaissance des Juifs pour son action en leur faveur.
Peu après la guerre, Albert Einstein, savant de renommée
mondiale, mêle sa voix au concert de louanges et d'hommages qui
montent vers le Vatican en déclarant que « l'Église catholique a été
la seule à
élever la voix contre l'assaut mené par Hitler contre la
liberté ».
Le 9 février 1948, Pinchas E. Lapide, alors consul d'Israël
à Milan,
est reçu en audience par Pie XII. Celui-ci se voit à nouveau
remercié
pour ses multiples interventions en faveur des Juifs.
Le 26 mai 1955, des musiciens Juifs au nombre de 94, venus
de 14 pays différents, jouent devant Pie XII la neuvième
symphonie
de Beethoven et ce, pour lui exprimer leur gratitude
d'avoir
arraché à la mort tant de Juifs pendant la guerre et pour
célébrer
la grandiose oeuvre humanitaire accomplie par lui.
Le 9 octobre 1958, Pie XII décède et les messages de
condoléances
affluent vers le Vatican. On y relève celui de Golda Meïr,
ministre
des affaires étrangères d'Israël, qui souligne en cette
occasion que
« pendant la décennie de terreur nazie, quand notre peuple a
subi
un martyre terrible, la voix du pape s'est élevée pour
condamner
les persécuteurs et pour invoquer la pitié envers leurs
victimes ».
En 1963 - et alors seulement - une pièce de théâtre
médiocre
ayant pour titre Der Stellvertreter (le Vicaire) est publiée
par
un ancien membre des Jeunesses hitlériennes, Rolph
Hochhuth,
qui y présente Pie XII sous les traits d'un monstre
d'indifférence,
n'ayant pas agi ni parlé comme il aurait dû.
Le 13 décembre 1963 est publiée dans le journal français Le
Monde
une déclaration de Pinchas E. Lapide, ancien consul d'Israël
à Milan.
Celui-ci y affirme ne pas comprendre le pourquoi de cet
acharnement
contre le défunt Pie XII qui « ne disposait ni de divisions
blindées,
ni de flotte aérienne, alors que Staline, Roosevelt et
Churchill,
qui en commandaient, n'ont jamais voulu s'en servir pour
désorganiser
le réseau ferroviaire qui menait aux chambres à gaz ».
Il précise que « le pape personnellement, le Saint-Siège,
les nonces et toute l'Église catholique ont sauvé
de 150.000 à 400.000 Juifs d'une mort certaine ».
Le même Juif éminent fait paraître à Paris en 1967 un
livre,
Rome et les Juifs, où il publie le résultat d'enquêtes
approfondies
menées dans toute l'Europe, dans les archives de Jérusalem
et
auprès des Juifs survivants. Il aboutit au chiffre de
860.000 Juifs
sauvés grâce au pape Pie XII.
Dans une recension de ce livre, la Jewish Chronicle estime
que la démonstration de Pinchas E. Lapide est concluante.
Dès lors, la même publication critique se demande :
« Pie XII et l'Église auraient-ils pu faire mieux ? »
Ce n'est pas évident.
Aux Pays-Bas, où l'épiscopat avait élevé davantage la voix
pour protester contre la persécution des Juifs par les
Nazis,
le taux de déportation vers les camps de la mort fut
aussi le plus élevé de tous les pays européens : 79 % !
Or, ce n'est pas à son débit de paroles,
mais en considération de ses actes
que l'on apprécie un homme
et ce qui l'inspire.
L'on peut dès lors comprendre qu'après la guerre,
le grand rabbin de Rome, Israele Zolli (1881-1956),
se soit converti à la religion catholique et ait,
le 13 février 1945, pris le nom de baptême d'Eugenio
en hommage au pape. "
Recherches de l'Université de Leuven
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