vendredi 13 mars 2009
"Auschwitz tombe en ruine et que fait-on?"
Par Alexandre DUYCK
Le Journal du Dimanche
>> Simone Veil a rencontré cette semaine, pour le JDD, une enseignante en Seine-saint-Denis qui lutte depuis des années contre les préjugés antisémites des élèves. Le 12 septembre 2001, dans une classe du lycée professionnel Moulin-Fondu, à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis). "Dans les tours, y avait aussi des juifs..."; "Partout où t'as du pouvoir et du fric, t'as des juifs"...
"Moi, je dis que c'est une bonne punition pour les juifs..." Samia Essabaa, professeur d'anglais, est sidérée: "Antiaméricanisme exacerbé, racisme et antisémitisme. Des symptômes, ça révèle une maladie. Et une maladie, ça se soigne. Mais comment?"
Elle trouve la solution: emmener ses élèves, presque tous de confession musulmane (comme elle) et perclus de préjugés antisémites, à Auschwitz. Au mémorial de l'Holocauste de Washington, où ils se trouvent ces jours-ci. Depuis son premier voyage au camp d'extermination, Samia Essabaa poursuit cette expérience, dont elle rend compte dans un livre à paraître mercredi*. Livre dans lequel elle rend hommage à Simone Veil, qui l'a beaucoup aidée.
Faut-il aller à Auschwitz pour comprendre la Shoah?
Simone Veil: Un jour, un de mes fils, qui était médecin et avait alors 40 ans, m'a dit: "Je ne veux pas y aller. Je n'irai jamais parce que je ne le supporterai pas." A l'inverse, mon mari, hier, m'a annoncé qu'il était prêt et qu'il avait décidé de s'y rendre. Concernant les plus jeunes, si le déplacement a été bien préparé par l'enseignant, oui, ça vaut la peine d'y aller. Sans quoi, on ne peut pas se rendre compte de ce qu'a été la déportation. Reste qu'Auschwitz tombe en ruine, les baraques sont en train de pourrir, et le monde a l'air de le découvrir. Et que fait-on pour restaurer le camp? Rien. Les lieux n'ont pas été entretenus. Certes, les Polonais n'ont jamais eu beaucoup d'argent, mais ce devrait être la priorité de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, que j'ai présidée mais que je ne préside plus. C'est l'une de ses vocations. Il y a de l'argent qui existe et qui doit être destiné à cela. Sans compter que les Allemands seront prêts à aider, d'autres aussi sans doute. Sauver Auschwitz de la ruine ne me semble pas une tâche insurmontable."
Samia Essabaa: Pour mes élèves, aller à Auschwitz, c'est essentiel. La Shoah, ce n'est pas leur histoire. Ils la connaissent très mal et pour la plupart doutent de sa réalité. C'est la solution que j'ai trouvée pour lutter contre l'antisémitisme: aller sur place au bout d'un travail de préparation qui, à chaque fois, dure six mois, durant lesquels je fais venir des anciens déportés, des enfants cachés, des représentants d'associations. J'emmène les élèves à la grande synagogue de la Victoire à Paris, ils étudient la Shoah en histoire, en anglais, dans les arts appliqués... Je les emmène aussi à la grande mosquée de Paris, je les fais travailler sur l'islam, leur religion, afin de faire ressortir les parallèles avec le judaïsme.
Plusieurs lycéens cités dans le livre n'ont jamais entendu parler d'Auschwitz, qu'ils sont tous censés avoir étudié en 3e...
S. V.: Les programmes sont très lourds, il faut aller très vite. On sait aussi que certains professeurs ne veulent pas étudier la Shoah en classe. Ils ne sont pas nombreux mais ils existent...
S. E.: C'est la vérité. Des enseignants effleurent le sujet pour éviter les problèmes au sein de la classe. Il existe aussi des élèves qui refusent catégoriquement de l'étudier et mettent le professeur devant le fait accompli.
S. V.: Il arrive aussi que des enseignants remplis de bonne volonté n'y arrivent pas... L'autre jour, un professeur m'a envoyé une liste de questions que ses élèves voulaient me poser. Je ne sais pas ce qu'ils s'imaginaient. Ils voulaient savoir si je connaissais le nom du SS qui m'avait fait telle ou telle chose. C'était nul, ils n'avaient absolument rien compris à ce qu'a été la déportation. Je l'ai dit à leur professeur. Il m'est aussi arrivé, il y a peu de temps, une expérience très déplaisante. J'ai été invitée par la directrice d'une institution religieuse près de chez moi, à Paris, pour parler de la Shoah. J'y ai été très bien accueillie par cette directrice et les élèves qui m'ont offert cent roses blanches. Je n'y ai parlé que de la déportation, tout s'est très bien déroulé. Et qu'ai-je appris peu après ? Que le curé avait obtenu le renvoi de la directrice, parce qu'elle m'avait fait venir, moi, l'auteur de la loi sur l'interruption volontaire de grossesse !
Samia Essabaa, quelle image vous vient à l'esprit lorsque vous repensez à votre découverte d'Auschwitz?
S. E.: Le mal-être au fur et à mesure que le car s'approchait du camp. Le mal au ventre. Et puis, une fois arrivée, la vitrine qui rassemble les vêtements des petits enfants. J'ai pensé à ces femmes de mon âge, arrivées ici avec leurs enfants... J'ai dû sortir et je me suis effondrée.
Simone Veil, quand y êtes-vous retournée pour la première fois?
S. V.: Je crois que c'était en 1955, pour les dix ans de la libération. Les Russes tenaient encore le camp. Nous sommes restés à l'extérieur. Il y a des déportés qui ne veulent pas y retourner, d'autres qui y vont souvent. Quand j'y vais, ce n'est pas aussi épouvantable qu'on pourrait l'imaginer. Nous, les déportés, nous sommes plus marqués par les souvenirs que nous avons de certains endroits que par les lieux mêmes. Les chambres à gaz et les crématoires ont pour la plupart été détruits ; il y a de l'herbe, des arbres, l'endroit fait pacifique alors que, quand nous y étions, c'était soit la boue et le froid soit la chaleur accablante. Tout était si sale. Ça n'a aucun rapport avec ce que c'était.
Certains parlent d'une recrudescence de l'antisémitisme en France. Qu'en pensez-vous?
S. V.: Je le crois, effectivement. Le récent scandale Madoff survenu aux Etats-Unis est catastrophique. Ce qui s'est passé récemment en Israël et à Gaza est également mal compris, sans compter ce qu'il adviendra avec le nouveau gouvernement israélien, qui sera très à droite et ne correspondra pas à ce qu'est Israël aujourd'hui.
S. E.: Madoff, les élèves de mon lycée ne savent pas qui il est. Gaza, à l'inverse, les a beaucoup touchés. J'ai été très vigilante et je dois dire qu'à mon grand soulagement, je n'ai pas du tout entendu les propos tenus en septembre 2001. Mes collègues non plus. Le travail que nous menons depuis plusieurs années a réussi à apaiser les tensions. Quand mes élèves ont rencontré des juifs de leur âge, au Maroc, qui, comme eux, portaient des casquettes et ne se différenciaient en rien d'eux, ils ont perdu toutes leurs certitudes, tous leurs repères. C'est aussi ce que je recherche : aider mes élèves à se débarrasser de leurs préjugés pour être autonomes et responsables dans la vie.
* Le Voyage des lycéens, Samia Essabaa, Stock, 196 p., 17 euros. En librairie le 11 mars.
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