hasse aux nazis : "Comment nous avons tué Aribert Heim"
Chasse aux nazis : "Comment nous avons tué Aribert Heim"
PAR ANTHONY PALOU.
Un fascinant document à paraître le 16 octobre raconte la traque d'un des derniers grands criminels nazis. En avant-première, rencontre avec Danny Baz, qui fut un des acteurs de l'opération.
«Je mange, bois, respire Aribert Heim.» L'homme qui a écrit cette phrase est de passage à Paris. Il arrive de Kinshasa. L'Afrique noire semble le fasciner. Là-dessus, on n'en saura pas plus. Petites lunettes cerclées de fer blanc, cheveux courts poivre et sel, le regard un peu torve, conséquence d'une blessure à l'oeil droit, signe extérieur du baroudeur, il doit avoir une petite cinquantaine. Cet homme s'appelle Danny Baz. Ça ne vous dit rien. C'est normal. Lorsque vous lirez son livre *, vous ne l'oublierez plus. Ne cherchez pas à voir son visage : il n'y aura pas de photos de lui dans la presse. L'homme ne veut pas apparaître. Pas envie d'être la victime d'un néonazi surexcité qui le reconnaîtrait. On ne sait jamais.
«La chouette» et «le rat»
Danny Baz est israélien, d'un père marocain et d'une mère roumaine. Colonel de l'armée de l'air, pilote, spécialiste des missions secrètes, il est donc celui qui a traqué le dernier grand criminel nazi, Aribert Heim, celui que les déportés du camp de Mauthausen appelaient le «Doktor Tod» («Docteur Mort»). Jugé et exécuté par une organisation secrète dite «la Chouette» en 1982, sur la petite île de Catalina, située à quelques encablures de la côte californienne, il n'y a plus la moindre trace du corps de Heim. Deux ans auront été nécessaires à la Chouette pour capturer celui qu'elle surnomme «le Rat». La Chouette (oiseau prédateur du rongeur) fut créée par des survivants de l'Holocauste et financée par de riches mécènes. Sa devise : «Souviens-toi, ne pardonne pas, poursuis-les pas à pas.» Aucune pitié, aucune compassion n'est à l'ordre du jour. Pour Danny Baz, comme pour tous les autres membres de la Chouette, il est impossible de respirer, de vivre tant qu'un nazi est encore en vie sur cette Terre. Mais qui est Aribert Heim ? «Comme la plupart des gens, je ne connaissais pas le nom de Heim, avoue Danny Baz. Je connaissais Josef Mengele, le médecin d'Auschwitz-Birkenau. Quand j'ai lu les documents sur lui, c'était clair pour moi, il fallait le tuer.» Heim, un nom qui fait froid dans le dos. Un des médecins les plus sanguinaires, connu pour ses «opérations inutiles», ses vivisections sans anesthésies, ses «cocktails de la mort» (injection de pétrole dans les poumons ou le coeur de ses victimes). Les déportés espagnols appelaient ce boucher «El Banderillo». Le salaud parfait.
La traque d'Aribert Heim racontée par Danny Baz est fascinante par son côté romanesque. Pas facile, tout d'abord, de localiser le Rat sur le territoire américain. Pourquoi les Etats-Unis ? Que faisait ce bourreau nazi dans le pays de Roosevelt ? «Les Etats-Unis n'ont jamais eu une attitude claire avec les anciens nazis. Ils en ont protégé des milliers, s'en sont servi pendant la guerre froide. Lorsque j'ai raconté ça, personne ne me croyait. Même en Israël, j'ai été attaqué, mais aujourd'hui tout le monde le sait.» Baz continue sa charge antiaméricaine : «Je déteste ce pays pour avoir joué un double jeu après la guerre. Les Américains ont une double morale. Ils savaient tout et n'ont rien fait.»
Les moyens déployés par la Chouette sont colossaux, digne du Mossad qui, d'ailleurs, fut très impressionné par l'opération «Heim». Tout d'abord, il faut attendre le moment opportun pour capturer le Rat. La première fois que Danny Baz aperçut le Docteur Mort, c'était dans un de ses repaires au nord-est des Etats-Unis, dans la région des Sept Lacs, non loin du mont Hunter. «Quand je l'ai vu, j'ai été déçu. Le monstre était si misérable...», dit-il aujourd'hui. La scène où le Rat se fait piéger en compagnie d'un certain Harold, son garde du corps, sur un bateau, est digne d'un James Bond. Le guet-apens tourne mal, le Rat se prend trois balles dans la peau, tombe à l'eau. Harold est tué sur le coup. Une véritable opération commando. Baz pense que Heim est mort. Fait comme un rat, selon l'expression consacrée. Mais non. Le docteur est solide, pour la plus grande joie de la Chouette, qui le veut vivant. Son gilet de sauvetage l'a sauvé de la noyade. Il faut qu'il affronte avant de mourir le regard des Juifs qui vont le juger, qu'il entende une dernière fois avant de mourir la liste de ses crimes. Heim est donc sauvé in extremis par son entourage. Il sera évacué en hélicoptère vers le Canada, où il sera soigné - dernière étape de sa cavale, derniers jours avant le jugement dernier.
«Nous avons violé la loi»
D'où vient la froide détermination de Danny Baz ? «Depuis l'âge de 5 ans, depuis que j'ai appris l'histoire de la famille de ma mère, qui a disparu dans les trains... J'ai grandi avec cette histoire. Déjà la haine m'habitait. Je rêvais de faire quelque chose, mais je ne savais pas quoi. La Chouette m'a donné l'opportunité d'agir. J'ai appris que Heim a vécu protégé en Allemagne jusqu'au début des années 60, qu'il exerçait son métier de gynécologue comme si de rien n'était, qu'il gérait une grosse fortune, était propriétaire d'une quarantaine d'appartements... Si les Allemands avaient été sérieux, ils l'auraient arrêté. Tout ça n'est qu'un sale jeu politique.» C'est sans doute pour cela, entre autres, qu'il s'est décidé - avec les encouragements de son éditeur Olivier Nora - à écrire Ni oubli ni pardon. «J'ai écrit ce livre aujourd'hui car, pendant vingt-cinq ans, je n'ai pas osé raconter cette histoire. Je l'avais rédigée, mais sous forme de roman, avec de faux noms et de faux lieux, comme pour me défendre. La preuve que l'opération a bien marché, c'est que je suis ici devant vous et non pas dans une prison aux Etats-Unis.» Il ajoute, non sans fierté : «Nous avons violé toutes les lois. Tout était parfaitement illégal. Vous savez, il ne faut pas respecter la loi avec de tels monstres. J'étais prêt à mourir pour la cause. Ce combat, c'était toute ma vie. C'était comme une mission. Pourtant, je ne suis pas quelqu'un qui aime boire du sang. Je n'aurais pas fait ça pour avoir la peau d'un terroriste arabe. Jamais. J'ai fait ça parce que c'étaient les nazis. Le nazisme est hors de tout, hors de l'humanité. Je suis persuadé que la CIA était au courant de notre opération. Pour eux, c'était tout bénéfice : on a fait le sale boulot, comme on dit.»
Que la bête meure
Il a écrit aussi pour que ses enfants sachent exactement ce qu'a fait leur père. Et pour faire taire cette rumeur grotesque selon laquelle le Rat serait encore en vie. D'aucuns prétendent l'avoir vu dernièrement à Ibiza. Il aurait aujourd'hui 93 ans. Comble de l'absurde, le compte en banque berlinois du docteur serait toujours en activité, et l'Etat allemand continuerait à lui verser chaque mois une pension ! On croit rêver.
Le corps d'Aribert Heim a été brûlé - comme les autres criminels de guerre jugés par la Chouette - à la manière de ce que les nazis faisaient aux Juifs. Puis jeté dans le Pacifique, nourriture pour les requins. Pas de sépulture, pour qu'on ne puisse pas se recueillir.
Calme, droit dans ses bottes de sauveur, Baz semble porté par la foi : «Quand Heim est mort, je me suis senti comme un ambassadeur de tous les enfants morts pendant la guerre. Je suis l'avocat de toutes les victimes du nazisme.» Si on lui demande s'il a déjà mis les pieds en Allemagne, il répond : «Jamais ! Ce pays est responsable de deux guerres mondiales. Il y a quelque chose dans leurs gènes... L'Allemagne, pour moi, n'existe pas. Je connais le drapeau, ce genre de choses artificielles. Point. Les Etats-Unis auraient dû lâcher leurs bombes non pas sur Hiroshima ou Nagasaki mais sur l'Allemagne.» Le pardon attendra, donc.
* Ni oubli ni pardon, Grasset, 313 p., 16,90 euros.
Publié par MICHELLE GOLDSTEIN
Libellés : Aribert Heim, Danny Baz, Grasset, Ni oubli ni pardon
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire