vendredi 16 mars 2007

ALOUMIM


Se souvenir : Aloumim
Suzanne Millet


Aloumim est une association israélienne reconnue en France, créée en 1993, par des enfants juifs cachés en France pendant la dernière guerre mondiale. Qui étaient ces enfants, actuellement grands-parents ? C’étaient des enfants juifs de France et d’Europe, de leur naissance à 18 ans, cachés en France depuis la fin de l’année1939 jusqu’au début 1945. Les parents, pour sauver leurs enfants, devaient s’en séparer et les enfants placés dans un lieu sûr ne comprenaient pas cet abandon. Ils en ont souffert longtemps. Très peu parmi eux ont retrouvé leurs parents, la plupart exterminés dans les camps.
Les enfants d’Izieu
Les enfants d’Izieu
Aloumim, ce mot hébreu peut avoir plusieurs sens : mutisme, caché, secret, inconnu, anonyme, autant d’expressions qui caractérisent bien ce qu’ont vécu ces enfants cachés. Voici ce qu’écrit Ariella Palacz, cachée à la DDASS, pendant trois ans et demi. « Je me suis tue, la tragédie devant laquelle j’ai dû faire face personne n’en a rien su. La séparation brutale, la peine, la peur, la haine, personne n’en a rien su ». « J’ai gardé le secret de mon identité jusqu’au rejet, jusqu’à l’oubli. Le traumatisme de la Shoah m’avait rendu inconnue de moi-même, absente de moi-même. Je ne savais plus qui j’étais ». (« Il fait jour à Jérusalem » collection « témoignage et identité ». Éditions Ivriout.)

Le docteur Israël Lichtenstein, actuel président d’Aloumim, se rappelle qu’il était contre « ce communautarisme d’anciens combattants » mais il explique qu’en fait cette association fait un travail de mémoire pour l’avenir. Le titre du journal de Aloumim, « Mémoire vive », en témoigne. Dans le numéro 37 de ce bulletin, le président écrit : « Les monuments aux pieds desquels on croit devoir se réunir s’altèrent avec le temps et vont disparaître. Les témoignages recueillis seront-ils lus ou enrichiront-t-ils des archives que personne ou peu de gens viendront consulter ? Dans la course contre l’oubli, il faut des porteurs de relais. La vie se maintient par la vie. »

L’association comprend à peu près 850 membres dont 300 à Jérusalem. On peut se demander pourquoi elle a été créée si tard, 50 ans après la guerre ? Il fallait se construire soi-même, dit le docteur Liechtenstein, constituer une famille et c’est devenus grands-parents que nous avons pu parler et dire aux petits-enfants l’histoire de la famille. D’ailleurs après la guerre personne n’était prêt à écouter ce qu’avaient été la vie et la mort pendant la Shoah. En Israël on créait un pays, on inventait un type d’homme nouveau : un Juif fort. Dans les kibboutz, le rescapé de la Shoah était mis à l’écart. Ceux qui ont voulu parler, témoigner, n’ont pas réussi et peut-être, fait remarquer le Dr Lichtenstein, cette occultation du passé était-elle bénéfique !

Aaron Apelfield, dans son livre « Histoire d’une vie » (édition de l’Olivier, le Seuil), montre très bien la difficulté qu’il a eue à s’adapter à cette nouvelle société, à parler et à être écouté. Ce n’est qu’en 1967, à la guerre des 6 jours, dans le désert, que de jeunes soldats l’ont écouté, et qu’il a pu parler de ses parents, de sa ville. Ils voulaient comprendre comment la Shoah avait pu arriver et la situation tragique de 1967 les ouvrait au sens de leur destinée de Juifs.

Samuel Bak, le grand peintre qui a vécu en Israël de 1948 à 1967, n’a jamais pu exprimer son fardeau d’enfant du ghetto. Ce n’est qu’en parcourant les routes d’Europe et d’Amérique que ce fardeau est devenu son identité et qu’il l’a magnifiquement exprimé dans ses peintures.

Israël Feldman, psychanalyste, conclut son article dans « Mémoire vive » numéro 30. « Aujourd’hui la société israélienne est plus enracinée, son identité est plus forte. On ose donc rapporter, restituer ses souvenirs aux nouvelles générations avec optimisme, car les enfants cachés au moins ont survécu. De cet aspect positif de la Shoah, il faut se persuader d’être heureux et non coupable ! »

Aloumim travaille dans deux directions : la mémoire et l’entraide.

La mémoire

- recueil de témoignages sur cassettes. Dépôt de ces témoignages à Yad Vashem et au centre de documentation juive contemporaine (CDJC) à Paris.

- création et publication d’un bulletin « Mémoire vive » où sont publiés des récits autobiographiques, des articles historiques, des articles de fond, des avis de recherche, etc...Le bulletin est bilingue : Franco -hébreu afin d’atteindre les jeunes générations.

- publication de deux brochures en français et en hébreu :" Histoire de la Shoah" et "Cris de coeur".

- activités culturelles régionales et nationales : conférences, tables rondes, film (le réseau de Marcel, la maison de Nina, Mots de Gurs) excursions et visites guidées (exposition de peinture de Samuel Bak), réunion amicale (Hanouka), présentation de livres signés par les auteurs etc....

- témoignage dans les établissements scolaires, devant l’armée israélienne, auprès d’étudiants israéliens ou de groupes venus de France.

- cérémonie du souvenir à Yad Vashem et à Roglit, devant le mur des déportés de France avec enfants, petits-enfants et élèves des écoles.

- création d’un concours traitant de l’histoire de la Shoah en France. Ce concours est doté de plusieurs prix, réservés aux élèves et aux professeurs des écoles israéliennes, avec l’aide financière de la Fondation pour la mémoire de la Shoah.

Il s’agit d’encourager l’enseignement de la Shoah en France dans tous les établissements scolaires d’Israël et surtout de faire connaître la spécificité de cette période en France.
Voici comment le docteur Lichtenstein caractérise cette spécificité :
- l’existence d’un gouvernement non imposé par l’Allemagne, seul gouvernement légal de l’Europe occupée.

- un statut des Juifs, particulier à la France, mis en place dès octobre 1940.

- une police traditionnelle. (gendarmerie et police nationale), prête à se substituer aux services de sécurité de l’occupant pour conserver un semblant d’indépendance.

- ne pouvant faire face au grand nombre d’enfants restés seuls dans les camps après la rafle du 16 juillet 1942 (4000 enfants au Vel d’Hiv), la France demande aux Allemands de la « débarrasser de ces gosses qui hurlent et sentent mauvais. »

Et pourtant,
- « seulement » un quart des juifs de France a été déporté, alors que dans le reste de l’Europe ce chiffre dépasse les 95 %.

- la proportion des justes dans la population française est la plus forte de tous les pays occupés. Pour en revenir à ce concours, voici un exemple de travail fait par des élèves de quatrième et de troisième du collège Rabin de Givat Zeev à jérusalem. En se fondant sur les communautés juives de Lyon, capitale de la résistance pendant les années 42 - 45, les élèves ont recueilli des témoignages de résistants juifs et non juifs ainsi que des témoignages d’enfants cachés. Ils ont reçu le premier prix.

2) L’aide et l’entraide

- psychologique : groupes de paroles à Jérusalem et à Tel-Aviv.

- soutien moral, pour les personnes intéressées, par des psychologues voire des psychiatres de Amcha (organisation spécifique traitant ces problèmes)

- administratif, aide à la constitution de dossiers pour la restitution de spoliation et rentes d’orphelins de déportés.

- économique et sociale. L’association interpellée par la précarité de certains de ses membres âgés et malades, intervient matériellement pour les aider avec le soutien de la Fondation pour la mémoire de la Shoah.

Aloumim signifie aussi gerbes. Et c’est vraiment le travail de ses membres de nouer les gerbes du passé et de l’avenir. Rina Neher avait laissé ce très beau message : « pour marcher de l’avant sur la route plénière d’Israël, souviens-toi de ce qu’ont vécu tes pères, oui souviens-toi ! »

Ariela Palacz, citée plus, haut termine ainsi son témoignage. « Je ne savais plus qui j’étais... Je ne sais plus à quel moment je me suis souvenu que j’avais été bercée par des chansons douces que me chantait ma maman, en yiddish, ma belle langue maternelle...

Je ne suis pas née Princesse mais j’ai trouvé un Palais, le jour où je suis entrée dans les murs de Jérusalem. J’ai rejoint la terre de mes ancêtres. À travers eux sommeillait en moi ce que je n’ai jamais cessé d’être : une fille d’Israël ! »


texte repris du site echos d'israel

Aucun commentaire: